Préscolaire 4 et 5 ans et fonctions exécutives: nuances et mises en garde

Le thème des fonctions exécutives gagne en popularité au sein de plusieurs centres de services scolaires. Dans un élan concerté d’agir précocement afin de favoriser la réussite éducative, des interventions spécifiques sont proposées pour les enfants dès l’entrée à l’école. Avec l’arrivée du préscolaire 4 ans, nous sommes d’ailleurs en mesure de cibler nos élèves à risque encore plus rapidement. Conséquemment, plusieurs propositions, pistes d’intervention ou programmes, émergent des différents modèles théoriques qui portent sur les fonctions exécutives. Toutefois, ces modèles ne sont pas toujours adaptés à la réalité développementale de ces très jeunes élèves.

Le contrôle cognitif chez nos tout-petits

S’il est vrai que nos tout-petits se laissent souvent guider par les stimuli qui les entourent, il n’en demeure pas moins que très précocement, ils font aussi preuve d’un certain contrôle cognitif sur leur environnement.

Cette célèbre épreuve, qui a été administrée à des enfants aussi jeunes que 4 ans, démontre que l’enfant n’est pas seulement guidé par ses désirs et par son impulsivité.

Peu à peu, l’enfant développe ses capacités et son efficacité sur le plan du contrôle cognitif. Le développement de l’autocontrôle se fait principalement via des changements qualitatifs. Les stratégies utilisées pour faire face aux situations nouvelles et complexes se peaufinent, les processus exécutifs se mettent progressivement en place, se différencient dans leurs fonctions et se coordonnent de mieux en mieux.

Les modèles théoriques sur les fonctions exécutives

Les fonctions exécutives ont été scrutées à la loupe par de nombreux théoriciens et chercheurs. Malgré tout, le débat demeure à savoir quelles composantes y sont associées.

À ce jour, plusieurs modèles ont été proposés pour en rendre compte (ex. : le modèle de Dennis, le modèle de Diamond). Un des modèles théoriques le plus souvent cités est celui décrit par Miyake et al. (2000). Suite à une analyse de régression, ces chercheurs ont identifié trois composantes qui seraient déterminantes au niveau des fonctions exécutives:

  1. l’inhibition;
  2. la flexibilité;
  3. la mise à jour en mémoire de travail.

Ces composantes sont à la fois indépendantes et liées (corrélées entre elles). D’ailleurs, plusieurs propositions plus récentes vont en ce sens.

Le hic? Si ce modèle s’avère utile pour rendre compte de ce qui est observé chez l’adulte, il est néanmoins beaucoup moins applicable pour nos tout-petits. Il faut donc faire preuve de prudence lorsqu’il s’agit d’appuyer les interventions prodiguées au préscolaire sur ce modèle.

Les fonctions exécutives à l’âge du préscolaire: où en sommes-nous pour le moment?

Pour le moment, la plupart des auteurs, même ceux qui ont développé des modèles théoriques spécifiques à l’enfant, convergent vers l’idée que les fonctions exécutives ne seraient pas différentiables jusqu’à la fin de la période du préscolaire. Ainsi, de façon générale, le modèle unitaire est celui qui est privilégié jusqu’à environ 4-5 ans. Nous parlons alors des fonctions exécutives au sens large. Puis progressivement, les différentes composantes se spécialisent et deviennent partiellement indépendantes. Voici les premières composantes qui commenceront à s’individualiser:

3-5 ans

L’inhibition et la mémoire de travail commencent très doucement à se mettre en place.

5-6 ans

L’inhibition et la mémoire de travail poursuivent plus clairement leur développement.

6-7 ans

La flexibilité cognitive se peaufine; ceci se déroulera sur plusieurs années. Nous ne parlerons d’une individualisation de la flexibilité cognitive qu’en fin d’adolescence (Lee et al., 2013).

(…) puis l’adolescence…

Certains auteurs vont jusqu’à suggérer que la mise en place de cette structure en trois facteurs ne pourrait véritablement s’observer qu’au cours de l’adolescence.

In a group of 211 children, who were tested at the beginning of grade 1, at approximately 6 years of age, and again after 18 months, the best fitting model was not the three-factor model, but instead consisted of an updating factor and a combined inhibition and shifting factor, besides two baseline speed factors (verbal and motor). 

VANT DER VEN ET AL., 2013

Les fonctions exécutives, le préscolaire et le milieu de l’éducation

Les études démontrent que les enfants de la maternelle qui possèdent de bonnes habiletés exécutives s’engagent plus efficacement dans les situations d’apprentissage offertes en première année du primaire. De plus, de façon générale, les fonctions exécutives et la réussite éducative ont un lien de corrélation. Il n’est donc pas surprenant de constater que le monde de l’éducation s’intéresse de plus en plus à comprendre ces fonctions, et ce, notamment dans le but de guider les interventions, optimiser les pratiques et favoriser la réussite éducative de nos jeunes élèves. Or, à cet âge, des différences notables peuvent être présentes d’un élève à l’autre (par exemple entre un élève âgé de 4 ans 1 mois et un élève âgé de 4 ans 11 mois) sans que ceci ne soit nécessairement hors-norme.

Exemple issu de la psychométrie

Prenons l’exemple du sous-test Inhibition issu de la Nepsy-II. Dans cette tâche, une série de formes (ronde ou carré par exemple) est présentée à l’enfant. Celui-ci doit nommer la forme contraire à celle qu’il voit. Par exemple, si l’enfant voit un rond, il devra dire carré et vice versa. Il doit donc inhiber son automatisme (l’automatisme de nommer spontanément ce qu’il voit). Pour juger de la qualité de cette composante à cette tâche, l’examinateur doit prendre en compte deux paramètres où il situera l’élève par rapport à son groupe d’âge: la vitesse (le temps requis pour effectuer l’ensemble de la tâche) et la précision (le nombre d’erreurs que l’élève a fait).

Pour obtenir, par exemple, un score qui le situe au 50e rang centile, Loïc, âgé de 5 ans 1 mois, doit faire la tâche entre 130s et 142s (condition vitesse) et son niveau d’erreur devra être entre 15 et 17 (toujours pour se situer au 50e rang centile, mais cette fois-ci dans la condition précision). Toutefois, afin de se situer au 50e rang centile, Isaac, âgé de 5 ans 7 mois, devra effectuer la tâche entre 120s et 129s (soit une différence de 10 à 13 secondes si nous comparons à Loïc) et le niveau d’erreur sera entre 13 et 15 (soit une différence de 2 erreurs si nous comparons à Loïc).

Outre l’âge, différents paramètres peuvent également venir influencer le niveau de l’enfant quant à différentes sphères de développement lorsqu’il intègre le milieu scolaire (milieu culturel, environnement, etc.). Chacun des élèves intègre l’école avec son petit bagage de vie qui lui est propre.

Les programmes d’intervention doivent donc prendre en compte ce fait avéré. Toutefois, pour le moment, peu d’études porte spécifiquement sur les fonctions exécutives en contexte d’éducation préscolaire.

Appréciation des fonctions exécutives par observation?

Il est pratique courante de procéder par observations en milieu scolaire et ce, afin d’identifier les besoins puis les interventions requises pour mieux répondre aux besoins s’il y a lieu. Conséquemment, Duval et al. ont rédigé un article intéressant dans la revue Neuroéducation en 2018 qui proposait d’examiner comment les habiletés reliées aux fonctions exécutives pouvaient être mises à contribution par le biais d’observations pour ultimement mieux accompagner l’enfant (intervention). À l’éducation préscolaire, les auteurs proposaient que la mémoire de travail pouvait s’observer par exemple lors de la lecture d’une histoire, lorsque l’adulte lui pose des questions sur les évènements et les personnages, si l’adulte invite l’enfant à faire des liens entre l’histoire et sa vie personnelle, ce dernier sera amené à utiliser différentes habiletés de mémoire. L’inhibition quant à elle pouvait se manifester lors d’un jeu de construction, par exemple. En voulant construire une tour de huit étages (comme celle devant sa maison), un enfant pourrait alors être amené à contrôler ses gestes pour que la tour ne s’effondre pas en cours de construction. Cet enfant devra alors adapter ses gestes en fonction de l’environnement, de manière à répondre à l’objectif qu’il s’est lui-même fixé. Si la tour s’effondre, il sera amené à réguler ses émotions (p. ex. se féliciter d’avoir fait cinq étages au lieu d’être fâché de ne pas en avoir réalisé huit), ce qui est également associé à l’inhibition. Enfin, il était proposé que l’élève pourrait user d’habiletés liées à la flexibilité mentale en suivant les règles associées à une routine précise (p. ex. transiter du coin blocs vers la collation) ou en s’engageant dans un rôle au coin jeu symbolique (p. ex. passer du statut « enfant » à celui de « commis d’épicerie », en suivant les règles associées au jeu).

La prudence s’impose ici: s’il demeure intéressant d’observer des manifestations possibles des fonctions exécutives chez nos petits élèves, il n’en demeure pas moins que l’intervenant avisé devrait selon nous s’en tenir à une appréciation globale, sans chercher à établir un quelconque déficit d’une composante (ex.: déficit d’inhibition) à partir de ces observations à l’œil nu. S’il est possible que les exemples ci-haut mentionnés soient tributaires des fonctions exécutives, un ensemble d’autres fonctions sont également sollicitées (langage, mémoire à long terme, praxies, etc.) et une difficulté ou un dysfonctionnement de l’une ou l’autre de ces fonctions (ou même toutes ces fonctions) pourraient se répercuter sur le comportement manifesté par l’élève. Le néophyte en la matière doit également savoir que même à l’aide d’épreuves psychométriques normées, ces éléments demeurent souvent complexes à départager avec les élèves du préscolaire. Il nous paraît donc assez hasardeux de s’y risquer à l’œil nous. Tout au plus, nous ne pouvons qu’apprécier le comportement par observations et formuler des hypothèses.

Considérants pour le milieu scolaire

La mise en place de programmes d’intervention a tout avantage à prendre appui sur les données probantes et à être articulé de façon cohérente avec les données actuelles de la recherche. La prudence s’impose dans de nombreuses sphères, les fonctions exécutives n’y font évidemment pas exception.

Au niveau développemental, il y a un monde entre un élève âgé d’à peine 4 ans et un élève d’à peine 6 ans. L’importance d’étudier les fonctions exécutives lors de cette période critique de 3 à 6 ans est sans équivoque.

La période du préscolaire est le moment idéal pour:

  • Créer les conditions propices à l’émergence des fonctions exécutives, c’est-à-dire faire en sorte que l’élève se trouve face à des situations ou des tâches qui sont nouvelles pour lui, situations ou tâches où ses seules connaissances au sens strict du terme et ses automatismes/routines ne suffiront plus pour faire face à la situation;
  • Créer un environnement stimulant, qui donne le goût d’explorer et d’apprendre;
  • Proposer des nouveautés et des petits défis à la hauteur de l’élève (zone proximale de développement);
  • Mettre en place les conditions gagnantes qui permettront l’émergence d’apprentissages implicites basés sur la répétition d’expériences;
  • Graduer progressivement les niveaux de difficulté;
  • Utiliser l’enseignement explicite pour les apprentissages plus formels (notamment les connaissances académiques spécifiques à apprendre) ou plus difficiles pour l’élève… ou tout simplement lorsque requis!;
  • Commencer doucement à stimuler la métacognition, en procédant notamment par modeling et en donnant du feedback sur la tâche;
  • Si après plusieurs répétitions des difficultés subsistent, noter les stratégies qui ne fonctionnent pas mais aussi…celles qui fonctionnent: ceci sera un indicateur très utile pour identifier la ou les voie(s) à privilégier dans les années à venir!

Références

Bellaj, T., Soumaya Salhi, I. et Guerra, A. (2021). Chapitre 1 Diversité culturelle et développement des fonctions exécutives chez l’enfant. Dans A. Roy, N. Fournet, D. Le Gall et J-L. Roulin (2021). Les fonctions exécutives de l’enfant. Approches théoriques et cliniques. DeBoeck Supérieur.

Blaye, A. (2021). Chapitre 2 Développement du contrôle cognitif au cours de la période préscolaire. Dans A. Roy, N. Fournet, D. Le Gall et J-L. Roulin (2021). Les fonctions exécutives de l’enfant. Approches théoriques et cliniques. DeBoeck Supérieur.

Dennis M. (2006). Prefrontal cortex: typical and atypical development. Dans : Risberg, J., et Grafman, J. (2006). The frontal lobes: development, function and pathology. New York : Cambridge University Press, p. 128-62.

Diamond, A. (2006). The early development of executive functions. Dans: Bialystok, E., et Craik, F.I.M. (Eds.), Lifespan cognition; mechanisms of change (pp. 70–91). Oxford University Press.

Diamond, A. (2013). Executive functions. Annual Review of Psychology, 64, 135–168. https://doi.org/10.1146/annurev-psych-113011-143750

Diamond, A. (2016). Why improving and assessing executive functions early in life is critical. Dans J. A. Griffin, P. McCardle et L. S. Freund (dir.), Executive function in preschool-age children: Integrating measurement, neurodevelopment, and translational research (p. 11-43). Washington, DC: American Psychological Association. https://doi.org/10.1037/14797-002

Duval, S., Montminy, N. et Gaudette-Leblanc, A. (2018). Perspectives théoriques à l’égard des fonctions exécutives en contexte éducatif chez les enfants d’âge préscolaire. Neuroéducation, 5(2), 93-108.

Lee, K., Bull, R. et Ho, R. M. H. (2013). Developmental Changes in Executive Functioning. Child Development, 84(6), 1933–1953. https://doi.org/10.1111/cdev.12096

Miyake, A., Friedman, N. P., Emerson, M. J., Witzki, a H., Howerter, A. et Wager, T. D. (2000). The unity and diversity of executive functions and their contributions to complex “Frontal Lobe” tasks: a latent variable analysis. Cognitive Psychology, 41(1), 49–100. https://doi.org/10.1006/cogp.1999.0734

Roy, A. (2015). Approche neuropsychologique des fonctions exécu- tives de l’enfant : état des lieux et éléments de prospective. Revue de Neuropsychologie, 7(4) : 245-56 doi:10.1684/nrp.2015.0357

Roy, A., Roulin, J-L., Fournet, N., Le Gall, D., Krasmy-Pacini, A. et Chevignard, M. (2020). Chapitre 12 Les troubles des fonctions exécutives. Dans S. Majerus, I. Jambaqué, L. Mottron, Van Der Linden, M. et M. Poncelet (dir.), Traité de neuropsychologie de l’enfant (2e éd.). DeBoeck.

Van der Ven, S. H. G., Kroesbergen, E. H., Boom, J. et Leseman, P. P. M. (2013). The structure of executive functions in children: A closer examination of inhibition, shifting, and updating. British Journal of Developmental Psychology Psychology, 31(1), 70–87. https://doi.org/10.1111/j.2044-835X.2012.02079.x

Wiebe, S., Sheffield, T., Nelson, J. M., Clark, C., Chevalier, N. et Espy, K. A. (2011). The structure of executive function in 3-year-olds. Journal of Experimental Child Psychology, 108(3), 436–452. https://doi.org/10.1016/j.jecp.2010.08.008

Avis légaux

Publié par Louise Rodrigue, psychologue/neuropsychologue scolaire

Détentrice d’un grade de doctorat en psychologie, neuropsychologue en milieu scolaire et fondatrice du site WWW.1001NEURONESENACTION.COM

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