© Louise Rodrigue, psychologue/neuropsychologue scolaire
La douance: une dérive?
Tout d’abord, prenons en considération que l’objectif de cet écrit n’est pas de déterminer qui a tord, qui a raison.

Néanmoins, il n’en demeure pas moins que toutes ces différences de conception amène actuellement plusieurs tensions et incompréhensions.
Les définitions retenues peuvent être très variables, souvent tributaires du contexte, de l’objectif poursuivi par l’identification de cette « douance » et du domaine d’activité. Par exemple, dans le domaine de l’éducation aux États-Unis, il sera question de gifted and talented, terme qui fait référence à la présence d’un haut potentiel dans un ou plusieurs domaines (leadership, arts, intelligence, performance scolaire, créativité). La France parlera quant à elle d’élèves à haut potentiel, terme utilisé pour désigner les élèves intellectuellement précoces ou manifestant des aptitudes particulières (le haut potentiel pouvant être intellectuel ou créatif). Au Québec, ce sera surtout la définition du MÉES qui sera utilisée dans les milieux scolaires. Ici, les élèves doués seront davantage considérés comme des élèves présentant des comportements ou des manifestations qui seraient typiquement associées à « la douance »… même si dans les faits, les recherches démontrent qu’aucune liste de manifestations observables ne peut décrire l’entièreté des manifestations de la douance. Le MÉES ne réfèrent donc pas nécessairement à une identification globale du haut potentiel intellectuel et une évaluation intellectuelle n’est pas systématiquement nécessaire dans cette vision. Si celle-ci est à l’occasion requise, elle ne doit pas être effectuée dans une visée diagnostique, mais bien pour préciser les besoins de l’élève. En fait, bien que l’intention soit très louable de mettre en lumière les besoins des jeunes qui présentent des aptitudes particulières, notre avis bien personnel est que le terme douanceest ici très accessoire dans une telle perspective, puisque d’emblée, le rôle du milieu scolaire est d’identifier les besoins de l’élève et d’y répondre de façon adaptée, peu importe la situation et le diagnostic.
Aussi, non seulement cette forte hétérogénéité des conceptions se traduit par différentes définitions, mais également par des méthodes d’évaluation et des critères tout aussi variés: observations libres, tests de performance scolaire, passation d’épreuves psychométriques (QI). Le seuil retenu lors de la passation de l’épreuve de rendement intellectuel peut même différer selon les conceptions, certains considérants la douance seulement lorsque le rendement global à l’échelle intellectuelle est dans le 2,2 % supérieur de la courbe de Gauss (QI de 130) alors que pour d’autres, la douance peut être considérée lorsque le QI de l’élève se situe à 120 (donc dans le 8,9% supérieur).
Mme Sophie, enseignante, a appris lors d’une formation que 2,2% des élèves peuvent être doués. Elle a 24 élèves dans sa classe, elle en déduit donc que 0,53/24 risque d’être surdoué… elle discute avec son collègue Martin et lui dit que les chances sont plutôt minces qu’elle ait un élève surdoué dans sa classe…
M. Martin, enseignant, a appris auprès d’un formateur différent que 8,9% des élèves peuvent être doués. Il a 24 élèves dans sa classe, il en déduit donc que 2,14/24 risquent d’être surdoués… il mentionne à Marie qu’il y a tout de même de bonnes chances qu’il ait un ou deux élèves doués dans sa classe et il se prépare en conséquence…
De surcroît, soulignons aussi que selon la définition utilisée, les interventions à privilégier peuvent être diamétralement opposées.
M. Jérome est intervenant en milieu scolaire. Il a récemment suivi une formation portant sur le haut potentiel. Selon la conception adoptée par le formateur, les élèves à haut potentiel sont qualitativement différents de leurs pairs sur le plan de la cognition et du développement. M. Jérome considère donc que ces jeunes nécessitent d’être dépistés tôt et que le milieu de l’éducation doit veiller à mettre sur pieds des programmes d’intervention particuliers adaptés à leur unicité. Il a eu d’ailleurs un débat fort animé à ce sujet avec Mme Kim, sa directrice, ce qui a créé quelques tensions de part et d’autre…
Mme Kim a suivi une formation l’année dernière lors d’un colloque mis sur pieds pour l’ensemble des gestionnaires des centres de services scolaire. Lors d’un atelier portant sur le haut potentiel, elle a appris que les élèves à haut potentiel ne pensaient pas différemment, qu’ils ont simplement plus de capacités intellectuelles que la moyenne. Bien que leur trajectoire développementale puisse, sur certains aspects, être plus rapide, ils ne se distinguent pas systématiquement des autres sur le plan de leurs besoins et pour cette raison, il n’y a pas lieu de procéder à du dépistage massif s’il n’y a pas d’impact fonctionnel qui fait surface en milieu scolaire.
Bien qu’il soit véridique qu’il existe une grande variété de profils d’élèves doués intellectuellement et que, conséquemment, différentes façons de les soutenir dans leur développement peuvent être envisagées, le problème actuel est que la définition même du concept varie de plus en plus, d’une personne à l’autre, selon la profession, la formation et la théorie à laquelle nous nous référons. Selon notre point de vue bien personnel, le problème ne se situe pas tant au niveau des différences conceptuelles, mais plutôt au fait que l’on utilise un même mot pour désigner des réalités différentes.
Ceci est d’autant plus alarmant que cette variabilité des définitions se manifeste au sein même des recherches. Nécessairement, cette absence de consensus peut conduire à des déductions erronées, à une impossibilité pour les chercheurs à comparer les résultats des études entre elles et à généraliser les résultats. À ce propos, Guay et al. (2020) soulignaient, en se référant à une méta-analyse de 104 études empiriques (Carman, 2013), que dans la majorité des recherches, définir le haut potentiel intellectuel revenait à définir l’intelligence (les études utilisant des seuils variables, soit 130 de QI dans 52,5% d’entre elles et 120 de QI dans 22,5% d’entre elles).
Toutefois, un fait assez inquiétant était rapporté:
Plus de la moitié des recherches compilées dans cette méta-analyse ne rapportent pas quel seuil de Ql est utilisé et plusieurs ne partagent pas quelle échelle a été utilisée.
Il est donc difficile d’en extraire des conclusions et recommandations solides, puisqu’à la base, il n’est pas possible de déterminer si nous comparons bel et bien le même concept. De façon vulgarisée… comparons-nous vraiment les bananes avec les bananes… ou les bananes avec les pommes et les melons?

Et c’est bien ici que le risque de dérive est possible, car ceci engendre nécessairement de la confusion.

Dans ce cas, au même titre que nous n’employons pas le mot trouble de façon isolée, Chevrier et Authier (2021) précisent que le mot douance ne devrait jamais être employé seul. Il serait donc préférable d’employer douance intellectuelle lorsque nous nous référons à la définition que nous vous avons présentée précédemment.

Il sera tout autant pertinent d’indiquer à nos interlocuteurs ou lecteurs à quel modèle nous nous référons si d’autres paramètres sont pris en compte dans notre conception (ex.: Mon modèle de référence de la douance est celui des trois anneaux…), ceci étant non seulement pertinent lors de discussions entres intervenants que dans une optique de bien se faire comprendre du public (en références à la notion de la mission protection du public), le but étant d’éviter que le manque de définition consensuelle mène à des pratiques cliniques et pédagogiques inappropriées, ainsi qu’à des conclusions et interprétations erronées de la part des parents.

Références sur la section portant sur la douance intellectuelle
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Dernière mise à jour: 6 avril 2023