© Louise Rodrigue, psychologue/neuropsychologue scolaire
Eugène Bleuler: tournant du XXe siècle
Eugène Bleuler, psychiatre, est de la même époque que Sigmund Freud et d’Emil Kraepelin (davantage connu pour avoir « inventé » le mot schizophrénie). À l’époque, Bleuler constate que, malgré ce que son maître lui a enseigné, la conception stipulant que la schizophrénie mène à la démence précoce n’est pas tout à fait juste…
De fil en aiguille, Bleuler se met à utiliser le mot autisme. Ce mot sert à caractériser ce comportement de replie sur soi dans un monde imaginaire qu’il constate chez certains sujets schizophrènes.

Mélanie Klein et Anna Freud: les années 1920
Mélanie Klein et Anna Freud développent la psychanalyse chez les enfants. Conséquemment, le concept d’autisme tel que défini par Bleuler est en quelque sorte appliqué à ceux-ci: l’enfant qui parait être pris dans son imaginaire est caractérisé comme un schizophrène de ce type. Il est donc conçu comme un enfant qui est non seulement dans ses pensées, mais également potentiellement est en train d’halluciner!
Louise Despert: 1938
Louise Despert, psychologue américaine, décrit des cas d’enfants schizophrènes se rapprochants des comportements autistiques. Pour elle, ce qui est toujours appelé schizophrénie de l’enfant est présent dès la naissance. Rappelons que ceci va à l’encontre des thèses psychanalytiques de l’époque qui stipulent qu’un temps de développement normal doit précéder l’arrivée de la schizophrénie chez l’enfant…
Léo Kanner: 1943
Léo Kanner est un médecin austro-hongrois qui a fait ses études de médecine à Berlin, et qui, en 1924, a émigré aux États-Unis où il commencera à s’intéresser à la pédiatrie et à la psychiatrie.
Kanner adopte une approche clinique phénoménologique: il observe les phénomènes et les comportements pour en dégager les signes spécifiques. Il est une figure marquante de l’élaboration du concept d’autisme et de la psychiatrie infantile.
Aujourd’hui, Kanner est reconnu aux États-Unis comme étant le père de la pédopsychiatrie.
Il insiste pour dire que l’autisme est différent de la schizophrénie et que selon lui, le sujet autiste n’hallucine pas.
Kanner relève, via des études de cas, les particularités suivantes chez l’enfant autiste:
Particularités sur le plan de la communication
Il observe la présence de répétitions, d’actes et de paroles qui sont monotones, d’écholalie retardée (répétition retardée des sons et des paroles). Il remarque une inversion des pronoms personnels, du « je » pour le « tu », et du « tu » pour le « je » chez certains de ces enfants, ainsi qu’une tendance à comprendre de façon très littérale.
Particularités sur le plan des interactions sociales
Il soulève cette particularité de présenter une difficulté à établir un lien affectif avec l’autre. Il semble conceptualiser l’autisme comme un problème affectif: il mentionne par exemple que ces enfants présentent une incapacité à établir des relations ou ils le font de façon très atypique. Ils peinent aussi à adopter une attitude anticipatrice lors de l’initiation d’une interaction. Par exemple, si l’enfant est seul dans une pièce et que son parent arrive en se dirigeant vers lui, il ne se retourne pas et ne fait pas de geste d’anticipation de l’entrée en communication.
Particularités sur le plan des intérêts
Il remarque un manque de curiosité ou d’intérêt pour la nouveauté.
Il est intéressant de savoir que déjà à l’époque, Kanner note la sensibilité très importante qu’ont les enfants autistes à la permanence des objets qui structurent leur environnement perceptif. Il remarque l’anxiété que génère un changement dans cet environnement perceptif.
DSM-III et Lorna Wing: les années 1980
En 1980, dans la version du DSM édition numéro trois, on reconnaît l’autisme en tant que trouble à part entière: on va alors le nommer trouble envahissant du développement.
Entre 1980 et 1990, Lorna Wing, pédopsychiatre, avance l’hypothèse qu’un certain nombre de zones cérébrales sont vulnérables chez l’enfant autiste. Ces zones traitent particulièrement l’information sociale et soutiennent les facultés de communication.
Du DSM-IV au DSM-5: des changements importants
La transition du DSM-IV au DSM-5 amènera des changements majeurs pour les cliniciens en ce qui a trait à la façon de conceptualiser l’autisme. Le syndrome d’Asperger, l’autisme et le trouble envahissant du développement non spécifié du DSM-IV qui était jusque là classifié de manière indépendante l’une de l’autre ont été regroupés sous une seule et même catégorie: le trouble du spectre de l’autisme.

Pour conclure, le concept d’autisme s’est donc transformé au fil des années passant de la schizophrénie à un trouble affectif, puis au trouble tel que défini aujourd’hui. Qui sait ce qu’il en adviendra au cours des années futures…
Références
Courchesne, V., Nader, A-M. et Mottron, L. (2020). Chapitre 14 L’autisme. Dans S. Majerus, I. Jambaqué, L. Mottron, Van Der Linden, M. et M. Poncelet (dir.), Traité de neuropsychologie de l’enfant (2e éd.). DeBoeck.
Coursera (2021). Trouble du spectre de l’autisme : diagnostic. Semaine 1: Historique & évolution des classifications diagnostiques. Mooc préparé par l’Université de Genève. https://fr.coursera.org/learn/troubles-spectre-autisme-diagnostic
Dernière mise à jour: 26 juillet 2021