Fonctions exécutives: le phénomène des lettres miroirs vu sous l’angle de l’inhibition

© Louise Rodrigue, psychologue/neuropsychologue scolaire

L’apprentissage de la lecture constitue un défi de taille pour nos jeunes apprenants. Certains élèves relèvent ce défi avec brio, sans trop de difficultés, alors que pour d’autres, l’apprentissage est plus ardu. Parmi les erreurs classiques, nous retrouvons une fréquente confusion lorsqu’il s’agit de distinguer l’orientation des lettres.

Ce phénomène est totalement normal en début d’apprentissage et ce, même si l’élève possède une bonne acuité visuelle.

Mais quelle est donc la raison de ce phénomène?

L’apprentissage par la dénomination versus la reconnaissance visuelle

En début d’apprentissage, lorsque le tout-petit apprend à nommer les éléments qui l’entourent, il utilise les mêmes mots et ce, peu importe l’orientation de l’objet.

Ainsi, peu importe la façon dont la pomme est placée, elle demeure… une pomme!

Donc, histoire d’être fonctionnel et efficace, le cerveau tente de limiter la quantité d’information à traiter : lorsqu’il perçoit et doit identifier un objet, il n’analyse pas chacune des composantes avant de déterminer quel est l’objet!

Le cerveau va généraliser, c’est-à-dire qu’il va dégager une règle et l’appliquer de façon implicite à ce qui est similaire.

Un chien est un chien! Qu’il soit à droite, à gauche, à l’envers, couché sur le côté ou même… couché sur le dos!

Le cas des lettres miroirs

Le défi semble encore plus grand lorsqu’il s’agit d’apprendre à distinguer des lettres dont l’image en miroir constitue une autre lettre (b/d/p/q).

De nombreuses recherches tendent à démontrer que sur le côté et à l’arrière de l’hémisphère gauche du cerveau (ou si vous préférez: dans le cortex occipitotemporal ventro-latéral postérieure de l’hémisphère gauche) se trouvent des neurones qui, au cours de l’apprentissage de la lecture, se recyclent et se spécialisent dans la reconnaissance visuelle des lettres et des mots (l’aire de la forme visuelle des mots). Or, avant de se spécialiser, la fameuse phase de généralisation en miroir doit être franchise.

Pour ce faire, la composante inhibition des fonctions exécutives de l’élève est fortement sollicitée, et ce, à une période de vie où l’inhibition est en douce émergence.

Ainsi, l’élève se trouvera face à

  • une tâche qui est nouvelle et complexe pour lui (apprendre à distinguer, à lire et à écrire les lettres telles que b/d/p/q)

ET

  • il ne peut pas se fier à ses automatismes et à ses seules connaissances au sens strict du terme pour s’adapter à cette nouvelle situation.

Si l’élève ne fait pas preuve d’une flexibilité cognitive suffisante pour s’adapter à cette nouvelle façon de faire, il ne parviendra pas à distinguer spontanément ces lettres et il aura tendance à persévérer dans ses erreurs!

Encore une fois, rappelons qu’il s’agit d’une phase qui est généralement temporaire et totalement normale.

Dès que l’élève réussit à inhiber (donc bloquer) cette stratégie de généralisation qu’il avait automatisée dans d’autres contextes qui lui semblaient similaires (soit d’utiliser le même mot, peu importe l’orientation de ce qu’il doit nommer), l’identification correcte des lettres devient de plus en plus automatisée.

Attention par contre!

Si cette phase perdure au-delà de la phase normale, il y a lieu de se questionner sur la présence d’autres problématiques (confusions auditives, dyslexie, problématique de perception visuelle ou au niveau du traitement visuospatial, trouble des fonctions exécutives, etc.). *Ceci ne fera toutefois pas l’objet du présent billet.


Confusions visuelles? Auditives? Phonémiques? Mise en garde sur ce qui est véhiculée…

Certains chercheurs avancent que les confusions entre le b et le d et entre le p et le q relèvent d’une confusion visuelle.

La confusion entre le b et le p relèverait quant à elle d’une confusion auditive et phonémique.

Ici, la nuance s’impose!

Si la confusion auditive est sans aucun doute une hypothèse plausible à explorer, il demeure néanmoins qu’une confusion visuelle est possible pour l’ensemble de ces lettres, particulièrement en début d’apprentissage. Ainsi, lorsque le jeune lecteur apprend à lire, il n’est pas nécessairement inné qu’il doit aborder la page de la gauche vers la droite, laissant libre court à une image en miroir selon la perspective empruntée…

Enfin, de nombreuses autres pistes sont possibles… telles qu’une difficulté à inhiber!

Le d peut très bien être l’image en miroir du q si nous le percevons à la verticale… et le q du p


Comment aider l’élève à inhiber cet automatisme?

La plupart du temps, le tout rentre dans l’ordre sans qu’aucune intervention spécifique ne soit nécessaire… les méthodes d’enseignements actuelles sont généralement efficaces!

Néanmoins, certains élèves bénéficieront d’un petit coup de pouce supplémentaire afin de développer ce nouvel automatisme.

Voici quelques pistes (non exhaustives!) à explorer:

S’assurer que la base est présente: discrimination auditive et visuelle

Il faudra évidemment s’assurer au préalable que l’élève est capable de discriminer visuellement ces lettres et de discriminer auditivement le phonème correspondant à chacune de ces lettres.

  • Discrimination auditive: placez-vous dos à dos avec l’élève. Demandez-lui de répéter après vous les lettres qui pourraient éventuellement être problématiques (b, d, p, q … mais il peut également être intéressant d’explorer d’autres lettres) et ce, en énonçant les lettres sur un ton naturel, sans exagérer votre prononciation. Vous serez alors en mesure d’apprécier s’il entend minimalement le son (audition et/ou traitement auditif) et s’il est capable de le reproduire correctement (langage et/ou parole). Attention: les confusions auditives ne se travaillent pas de la même façon que les confusions visuelles. Consultez l’orthophoniste de l’école pour obtenir son avis.
  • Pour s’assurer que l’élève est en mesure de bien discriminer ces lettres sur le plan visuel, inspirez-vous des exercices suivants:

Lorsque la problématique se situe davantage au niveau de la discrimination visuelle et de la perception, un soutien en ergothérapie, voire même parfois en optométrie développementale ou en orthoptie (lorsque ces ressources sont disponibles) peut être une avenue intéressante.

Dans tous les cas, il sera intéressant de travailler la discrimination visuelle en faisant verbaliser à l’élève les différences et les ressemblances entre les lettres. Plusieurs exercices sur le web et sur le marché visent à travailler cette difficulté. Ceux-ci consistent par exemple à trouver les lettres identiques aux modèles proposés, à prélever des indices et à repérer des intrus parmi un ensemble de lettres, etc.

Comprendre: expliquer le phénomène des lettres miroirs

Expliquez clairement le phénomène des lettres miroirs à l’élève afin qu’il saisisse bien la nature de son erreur. Pour ce faire,

  • Demandez à l’élève de vous apporter un objet (signifiant idéalement!) qu’il aime beaucoup (histoire de favoriser la motivation et l’encodage!).
  • Demandez à l’élève de mettre cette objet sur son pupitre.
  • Demandez-lui de vous nommer cet objet.
  • Puis, demandez-lui de changer de côté et de vous renommer cet objet.
  • Faites cet exercice pour tous les côtés du pupitre; l’élève doit être en mesure de saisir clairement que peu importe où il se situe, l’objet porte le même nom.
  • Par la suite, faites le même exercice, mais cette fois-ci avec la lettre b en minuscule.
  • Expliquez à l’élève que le cerveau nous joue parfois des tours avec ce type de lettre, parce que nous l’avons programmé à reconnaître un objet dans n’importe quelle position, mais que maintenant, il doit apprendre que pour certaines lettres, il ne peut pas agir ainsi et que la lettre doit toujours être dans la même position pour que l’on puisse l’identifier correctement.

Donner un indice concret et ludique: la méthode des Alphas

Associer la lettre à un personnage ou un objet, comme dans la méthode bien connue des Alphas. Voici quelques liens externes (non exhaustifs) pour en apprendre plus sur cette méthode…

Apprendre à repérer l’erreur, s’assurer de bien la comprendre, inhiber l’automatisme puis activer la bonne règle: L’attrape-Piège

  • Inspirez-vous de L’attrape-Piège, un dispositif didactique pour apprendre aux élèves à inhiber leurs automatismes qui posent problèmes dans un contexte où ces automatismes les induisent en erreur (Cf. : Piste péda: l’Attrape-Piège sur le site Science-Cognitives.fr). L’attrape-piège est composé d’une planche transparente hachurée: celle-ci représente l’inhibition de l’heuristique (automatisme). La partie centrale non- hachurée de l’attrape-piège représente la règle à utiliser. Le principe est simple et apparemment efficace: identifier son erreur, en comprendre la cause, inhiber l’automatisme qui pose problème, activer la bonne règle à utiliser. Les auteurs de ce dispositif mentionne que cette approche pédagogique serait plus efficace que de simplement rappeler la règle.

Pour apprendre à l’élève à corriger ce type d’erreurs, il ne suffit pas de lui réexpliquer la règle (ou l’algorithme logique), il faut surtout lui apprendre inhiber les heuristiques et les automatismes que son cerveau a construits par l’observation de certaines régularités dans son environnement ou au cours d’apprentissages scolaires antérieurs.

Borst, 2018

Bonifier et peaufiner s’il y a lieu, en rendant le tout amusant: Explorez les trésors du web

Le web regorge d’idées les plus imaginatives les unes que les autres afin d’aider nos petits trésors à ne plus confondre ces lettres. Voici quelques idées sympathiques à explorer – liens externes (non exhaustifs – n’hésitez pas à nous faire découvrir vos trésors dans les commentaires!):

https://maitrise-langue.spip.ac-rouen.fr/IMG/pdf/ne_plus_confondre_b_d_p_q_en_gs_ou_et_au_cp_version_2.pdf

https://youtu.be/vwMe5pGlZWA

https://www.logicieleducatif.fr/francais/confusions/bpdq1.php

https://www.google.ca/amp/s/lecycle2.wordpress.com/2016/07/20/confusions-visuelles-b-et-d-outils-mnemotechniques-discrimination-fiches-exercices-remediation-cp-ce1/amp/

http://brigitteprof.brigitteleonard.com/activitesinteractive/francais/exercice-b-d-p-q/

Enfin, il importe de se souvenir qu’un automatisme se développe via l’entraînement et la répétition:

Plus l’identification correct de la lettre deviendra automatique, moins l’inhibition aura à être sollicitée.

Le mot clé:

Pratiquer… et surtout PRA-TI-QUER MIEUX!

Quelques références

Ahr, E., Houdé O. Et Borst G. (2016), Inhibition of the mirror generalization process in reading in school-aged children. Journal of Experimental Child Psychology, 145, 157-165. http://doi.org/10.1016/j.jecp.2015.12.009

Bornstein M., Gross C. et Wolf J. (1978), Perceptual similarity of mirror images in infancy. Cognition, 6, 89-116.

Borst G., Ahr E., Roell M. et Houdé, O. (2015), The cost of blocking the mirror generalization process in reading : evidence for the role of inhibitory control in discriminating letters with lateral mirror-image counterparts. Psychonomic Bulletin & Review, 22(1), 228-234. http://doi.org/10.3758/s13423-014-0663-9

Borst, G. (2018). Chapitre 25. Comment le cerveau apprend à surmonter les obstacles cognitifs ?. Dans : Arnaud Roy éd., Neuropsychologie de l’enfant: Approches cliniques, modélisations théoriques et méthodes (pp. 394-404). Louvain-la-Neuve: De Boeck Supérieur. https://doi.org/10.3917/dbu.roy.2018.01.0394"

Cornell, J. M. (1985). Spontaneous mirror-writing in children. Canadian Journal of Psychology/Revue Canadienne de Psychologie, 39, 174–179.

Dehaene, S. (2007). Les neurones de la lecture. Odile Jacob.

Dehaene S., Nakamura K., Jobert A., Kuroki C., Ogawa S. et Cohen L. (2010). Why do children make mirror errors in reading ? Neural correlates of mirror invariance in the visual word form area. NeuroImage, 49(2), 1837-1848. http://doi.org/10.1016/j.neuroimage.2009.09.024

Dehaene, S., et Cohen, L. (2011). The unique role of the visual word form area in reading. Trends in Cognitive Sciences, 15, 254–262.

Diamond A., Barnett W. S., Thomas J. et Munro S. (2007), Preschool program improves cognitive control. Science, 318(5855), 1387-1388. http://doi.org/10.1126/science.1151148

*Notre site propose différents liens vers d’autres sites pour faciliter vos recherches. Ces liens n’engagent pas la responsabilité de 1001neuronesenaction.com et n’indiquent aucunement que nous approuvons le contenu de ces autres sites ou des sites accessibles par leur intermédiaire. 1001neuronesenaction.com n’exerce aucun contrôle sur l’exploitation de ces sites web.

Dernière mise à jour: 15 mai 2022

Avis légaux

Publié par Louise Rodrigue, psychologue/neuropsychologue scolaire

Détentrice d’un grade de doctorat en psychologie, neuropsychologue en milieu scolaire et fondatrice du site WWW.1001NEURONESENACTION.COM

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